35.

 

Lorsque Winter arriva au service des urgences, Jeanette Bielke avait de nouveau été plongée dans le coma.

— Le risque était trop grand, dit le médecin.

— Quand se réveillera-t-elle ?

— Vous voulez dire : « Quand la réveillerons-nous ? »

Winter regarda le médecin avec une expression qui incita celui-ci à se concentrer sur sa réponse.

— Dans deux heures, environ.

— Alors, je reviens dans deux heures très exactement, dit Winter en regardant la montre attachée au poignet qui n’était pas entouré de pansements et tenu en écharpe. J’ai besoin de savoir une ou deux choses, seulement.

— Je ne peux rien vous promettre.

Winter fit prendre à la voiture radio la direction de Frölunda Torg. Il ne connaissait pas le conducteur, un jeune. La brume solaire recouvrant le grand parking faisait penser à un violent incendie. Le vent du sud forcissait mais le thermomètre sur le toit du centre commercial semblait se refuser à afficher un chiffre autre que 39. Les gens cherchaient la fraîcheur sous les toiles tendues au-dessus des étals de marchands de quatre saisons ou allaient s’abriter sous les voûtes du centre commercial, où la sueur leur collait alors au corps et le froid en faisait tousser plus d’un.

Lorsqu’il sonna chez Mattias, personne ne vint ouvrir. Ils savaient qu’il vivait chez sa mère, mais ils n’avaient pas encore eu l’occasion de s’entretenir avec celle-ci.

Comment est-elle ? se demanda Winter. Il y a peut-être une bonne raison de lui parler. Et si c’était elle qui se trouvait à côté de Samic dans le bateau ?

Il n’avait pas vu Mattias à l’hôpital. Était-il au courant de ce qui était arrivé ? Quelqu’un l’en avait-il informé par téléphone ?

Était-ce son visage qu’il avait aperçu dans le jardin ? Ce n’était pas impossible, car il continuait à tourner autour de la maison des Bielke comme un chien abandonné, refusant d’accepter les faits.

Mattias s’était-il entretenu avec Jeanette avant que celle-ci ne commette son geste ? Cette tentative de suicide qui risquait de ne pas s’arrêter là.

Il sonna de nouveau et entendit les sonneries se répercuter à l’intérieur de l’appartement, derrière la porte en contreplaqué. Toutes les fenêtres de l’immeuble étaient ouvertes, que les gens soient chez eux ou non, et l’air était tellement sec, dans l’escalier, qu’il y régnait une odeur d’incendie.

À l’extérieur, c’était plus supportable, mais pas de beaucoup. Son jeune collègue s’était réfugié à l’ombre d’un arbre, plongé dans la contemplation de son véhicule.

— Attends-moi là, lui dit-il, je vais en face.

Il contourna la Maison de la culture.

L’appartement du jeune était toujours aussi vide, triste et désert. Ils n’allaient pas tarder à devoir en remettre les clés au gardien et l’énigme serait enfouie sous de nouveaux meubles, rideaux et tableaux, et recouverte par de nouvelles voix, de nouvelles couleurs et de nouveaux signes de vie.

Si les balançoires oscillaient sur le terrain de jeux, c’était uniquement à cause du vent. Les enfants se mettraient à fondre, s’il leur venait à l’idée d’aller s’asseoir dessus, pensa-t-il. Le silence régnait partout, y compris parmi les oiseaux. Le vent du sud avait forci mais il ne faisait pas encore de bruit. Il poussait simplement les balançoires, dont les chaînes n’allaient pas tarder à s’emmêler. Winter observa la fuite des nuages dans le vent, de gros nuages noirs qui ne couvraient encore que le cinquième du ciel. Il s’attarda un instant sur le seuil de l’immeuble. Le bruit du vent commençait à devenir audible, de plus en plus fort, comme si quelqu’un avait monté le son de ce drame-là. Le ciel se couvrait à très vive allure. En regagnant la voiture, il vit les ivrognes, sur l’escalier de la Maison de la culture, chanceler sous la violence de ces bourrasques orageuses.

Soudain la pluie se mit à tomber, avant de cesser tout aussi brutalement. Le ciel redevint bleu, vers le sud. Partout, des enfants s’amusaient à sauter dans des flaques d’eau qui ne seraient plus qu’un souvenir en l’espace d’une heure.

Il regagna la place. Par la vitre d’une voiture banalisée qu’il venait de garer non loin de là, Bergenhem lui fit signe de la main. Ils prirent l’ascenseur pour monter à l’étage où habitait Mattias, mais il n’y avait personne.

— Il lui est peut-être arrivé malheur, dit Bergenhem.

— Tout est possible. Il va falloir qu’on appose les scellés, ici, ajouta-t-il en appelant le commissariat de Frölunda. Lorsque leurs collègues arrivèrent, ils redescendirent et Bergenhem prit le volant pour les ramener en ville.

— Coupe à travers le parc, lui dit Winter.

Ils allèrent se garer sous les arbres, près du bassin. Sous l’effet de la récente averse, la crevasse, les arbres et les buissons avoisinants avaient pris des teintes plus vives.

Personne n’arpentait les lieux une laisse à la main. Seuls Bergenhem et lui étaient revenus sur la scène de ces crimes. Je pourrais venir me planter là un moment, chaque jour, pendant le reste de l’été et la moitié de l’automne, songea-t-il. Mais ce ne sera pas nécessaire. Nous allons bientôt confondre Bielke.

Pourtant, une autre voix en lui tenait un autre discours.

— Je n’arrête pas de penser à Fredrik, dit Bergenhem lorsqu’ils reprirent la direction du centre de la ville. Winter sentit sa douleur au coude se rappeler à son souvenir. Lorsqu’il tenta de le soulever, ce fut encore pire. Il allait sans doute falloir plâtrer sa fracture, mais le moment ne s’y prêtait pas.

Le visage de Jeanette n’était guère plus foncé que l’oreiller sur lequel il reposait. En entrant, il nota qu’elle avait du mal à bouger le regard.

— Je ne vais pas rester longtemps, dit-il.

Elle ferma les yeux.

— Comment te sens-tu ?

— J’ai mal.

Winter était dans son bureau, contraint de prendre le temps de lire un peu. Les pièces de l’enquête commençaient à former un tas assez impressionnant, devant lui. Au-dehors, la nuit tombait.

Ils avaient laissé Bielke tranquille un moment.

Lorsqu’ils avaient parlé avec sa fille – ou plutôt lorsque Winter avait parlé à celle-ci – son visage s’était confondu encore un peu plus avec l’oreiller.

Il lui avait posé certaines questions mais elle n’avait pas répondu. On aurait dit qu’un ruban de silence semblable à une laisse ou une ceinture entourait tous ceux avec lesquels il entrait en contact.

Il lui fallait donc retrouver du solide, sous la forme de ces rapports d’enquête. Tout était là, comme toujours. C’était là.

Il lut jusqu’à ce que ses yeux demandent grâce.

Quelques heures plus tard, il était de retour. Il n’avait pas dormi tout son saoul, mais il avait les idées plus claires. Je ne dormirai pas tant que cette affaire ne sera pas éclaircie, pensa-t-il.

L’ordre des priorités avait été modifié, il le sentait à l’attitude de tous. Le plus important était maintenant de retrouver Halders. En fait, ce n’était ni plus ni moins important que le reste, car l’un entraînerait l’autre.

Winter avait appelé Vennerhag et celui-ci lui avait promis de mettre ses gangsters à sa disposition. Ce sera ton plus gros coup jusqu’ici, avait commenté Winter.

Le téléphone sonna.

— Quelque chose d’intéressant, dit Möllerström.

Winter attendit un instant qu’on lui passe son interlocuteur.

— Allô ?

— Commissaire Winter à l’appareil.

— Euh… oui, c’est-à-dire qu’on a vu les articles dans le journal.

La campagne de presse de Winter et de Bülow commençait à donner des résultats.

Une heure plus tard, l’homme et son fils étaient dans le bureau. Ils avaient cinq ans de plus. Naturellement, cela se voyait plus sur ce dernier, qui n’en avait que dix, à l’époque.

Winter avait lu ce qui les concernait trois jours auparavant et venait de le relire. Pendant toutes ces années, ils étaient restés à charger leur voiture, près de ce parc, sans plus jamais donner de leurs nouvelles. Jusqu’à maintenant.

— Ça fait longtemps, en effet, dit l’homme. Enfin nous voilà. Si ça peut servir à quelque chose.

— Qu’en est-il de vos souvenirs ? demanda Winter.

L’homme sourit, ou s’efforça de le faire. Quant au fils, il semblait se demander ce qu’il fabriquait là.

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas manifestés plus tôt ? questionna Winter.

— Eh bien quand ça s’est passé, on partait en vacances et… le voyage a été très long, parce qu’il a duré jusqu’après la rentrée des classes, expliqua l’homme en regardant son fils. On m’a accordé l’autorisation de lui donner des cours moi-même, ajouta-t-il avec un regard qui semblait dire que cela avait peut-être été une erreur. Et puis, quand on est rentrés, il n’y avait plus rien à propos de ce meurtre qui pouvait… enfin, nous concerner, quoi. Vous comprenez ?

— Mais cette fois, il y a quelque chose, dit Winter.

— Oui, c’est vrai, on dirait que ces articles s’adressaient directement à nous.

— Moi, je me souviens de rien, coupa le garçon en prenant la parole pour la première fois. Seulement qu’il faisait très chaud, cette nuit-là. Et qu’on était fatigués.

— Il était tard, reprit l’homme en regardant autour de lui. Eh bien… en quoi peut-on vous être utiles, au juste.

On verra ça, pensa Winter. Diverses études en matière de psychologie de la mémoire prouvaient que les êtres humains possédaient une faculté particulière de reconnaître les visages, même après une longue période. Il semblait qu’il y eût, dans le cerveau, un système à part chargé de stocker les images de ce genre et de les travailler. Winter avait souvent songé à cela. C’était d’ailleurs assez naturel, si on pensait à l’évolution de l’être humain à travers les âges : il est important de reconnaître le visage des autres, amis ou ennemis, pour survivre.

Cela lui avait été d’un grand secours dans son travail.

Les enfants apprennent très vite à reconnaître les visages et cela n’a rien à voir avec l’acquisition du langage.

Je pourrais parler très longtemps avec ce père et son fils, pensa Winter, mais cela ne servirait à rien.

Ce qu’il visait, en eux, c’était une faculté, une mémoire particulière, qui permettait de reconnaître les visages.

Cinq ans avaient passé. Il voulait que ces deux personnes soient confrontées avec Bielke, même si l’identification risquait d’être très difficile, voire impossible. Le temps constituait un lourd handicap en la matière, et, de plus, ils allaient se trouver face à un visage éclairé d’une autre façon, sous un autre angle, coiffé de façon différente. Le cadre ne serait pas le même, non plus. À supposer qu’ils aient vu quelqu’un cette nuit-là.

— Avez-vous vu quelqu’un ? demanda Winter.

— Oui… répondit l’homme d’une voix hésitante. Je m’en rends compte maintenant. Ce n’est pas facile, vous savez. Mais c’était une nuit bien particulière… je m’en souviens parce que j’avais une affreuse rage de dents et la première chose qu’on a dû faire pendant ce voyage, une fois arrivés en Scanie, ça a été de nous mettre en quête d’un dentiste.

Winter attendit la suite.

— C’est plus facile de se rappeler, dans ces conditions, hein ? Et c’est vrai que je me souviens d’avoir vu quelqu’un sortir du parc, parce que je venais de poser une valise en me disant que je pourrais aller dans le bois chercher un peu de résine à mâcher. Ma grand-mère disait toujours que c’est efficace contre les maux de dents. Alors j’ai regardé en direction du parc et, juste à ce moment-là, il y a quelqu’un qui en est sorti. Mais je ne sais pas quelle heure il était, ajouta l’homme en regardant Winter.

— Nous si, assura celui-ci.

Je voudrais que cela ne finisse jamais
titlepage.xhtml
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Edwardson,Ake-[Erik Winter-04]Je voudrais que cela ne finisse jamais(2000).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html